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"Tu es Cela - Plus proche que proche - Déjà là"

Krishnamurti, psychologue de l'ère nouvelle .- Robert Linssen : K. et le problème de la pensée

Krisnamurti, psychologue de l'ère nouvelle de Robert Linssen
Edition Le courrier du livre .-Paris, 1971.


Chapitre VI : Krishnamurti et le problème de la pensée. (pages 59 à 91)


59

« Quand [la pensée] est-elle l’instrument idéal ?

Quelles sont les activités d’où elle devrait être exclues ?

K. considère que la connaissance de soi, la lucidité, la compréhension de la nature et du rôle de la pensée sont essentiels.


61

[…] La pensée est empreinte de conditionnements multiples : conditionnements de temps, de durée, attachement presque mécanique aux niveaux acquis. Ainsi se crée insensiblement et progressivement une distance entre la pensée rivée au passé et les circonstances toujours neuves du présent.

[…] K déclare que la pensée n’est que conditionnement résultant d’un passé insondable et complexe. Certains répliquent que l’esprit est liberté mais la pensée n’est pas l’esprit.


62-63

[…] Nous ne sommes en « surface » qu’un ensemble de résultats du passé.

En profondeur (mais englobant et dominant à la fois les aspects de la « surface ») une Vie créatrice, éternellement présente, neuve d’instant en instant. Cette réalité universelle existant en dehors de toute causalité n’est pas un résultat.

[…Ces deux aspects] sont complémentaires. Ils sont les faces opposées mais complémentaires d’une seule et même totalité. L’obstacle à la perception de cette unité fondamentale est la pensée. C’est aussi la pensée qui nous prive de la découverte en nous-mêmes, comme en toutes choses, du jaillissement créateur d’une Vie toujours présente et neuve.

La pensée, cependant, peut ne plus être un obstacle. Mais pour réaliser cette condition, il est indispensable que s’opère en nous une mutation préalable. Aussi longtemps que cette mutation psychologique ne s’est pas réalisée la pensée, dans son vice de fonctionnement fondamental, fait obstacle à la pleine connaissance de nous-même.

 

K., dans « Cinq entretiens avec Krishnamurti » :

« La pensée est incapable de pénétrer très profondément dans aucun problème ni dans les rapports humains. La pensée est superficielle, elle est vétuste et résultat du passé. Celui-ci est incapable de pénétrer dans quelque chose d’entièrement neuf. Il peut l’expliquer, l’organiser, le communiquer, mais le « mot » n’est pas le neuf. La pensée est parole, symbole, image.

Sans le symbole, la pensée existe-t-elle ? Nous l’utilisons pour reconstruire, pour modifier la structure sociale, mais étant vétuste, elle réforme la structure sociale pour l’adapter à un nouveau modèle basé sur l’ancien.

Fondamentalement, la pensée est un élément de division, de morcellement, et tout ce qu’elle pourra faire sera séparatif et contradictoire. Elle pourra donner des explications philosophiques ou religieuses, des structures sociales nouvelles et nécessaires, mais il y aura toujours en elle une semence de destruction, de guerre et de violence.

La pensée n'est pas la voie d'accès pour arriver au neuf. Seule, la méditation ouvre la porte sur ce qui est éternellement nouveau.

La méditation (véritable) n'est pas un procédé de la pensée. Elle consiste à voir la vanité, la cupidité de la pensée et les procédés du mental. Le mental et la pensée sont nécessaires là où il s'agit de questions mécaniques mais l'intellect est perception fragmentaire du tout alors que la méditation est la vision du tout.

Le mental ne peut agir que dans le champ du connu et c'est pourquoi la vie devient une routine monotone dont nous cherchons à nous évader. Il n'existe qu'une seule liberté, c'est la libération à l'égard du connu."


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[...] Comment se débarasser des conditionnements de la pensée ? Par quels moyens, quelle méthode est-il possible de dépasser la pensée ?

Fausse question, nous répondra Krishnamurti. D'abord pourquoi voulez-vous vous débarasser de la pensée ? "Qui" veut se débarasser de la pensée ? Pourquoi ? Voulez-vous atteindre quelque chose d'autre ? Voulez-vous vous évader de votre situation conflictuelle d'aujourd'hui pour accéder demain vers une situation que vous jugerez plus agréable ? Dans tout ceci le "moi" reste en profondeur, sous-jacent aux multiples variations de surface.

Il ne s'agit pas de se débarasser de la pensée. Le mobile d'une telle décision en nous n'est autre qu'une pensée conditionnée.

Il faut exercer une attention vigilante d'une nature particulière, une attention pure dégagée des habitudes et des conditionnements déformants de la pensée. Une telle affirmation provoque un mouvement de recul dans l'esprit de la plupart des occidentaux. Nous nous imaginons en effet, que dès l'instant où nous sommes sans pensée, nous sombrons dans une totale incohérence.


64

Nous avons des difficultés à comprendre qu'il puisse exister un état d'attention très intense dans dans lequel n'interviennent plus nos automatismes mémoriels, nos images, symboles et mots. Il existe un état d'observation silencieuse, très concentrée, dégagé de tout effort, de toute tension personnelle. Nous sommes à ce point agités mentalement qu'il nous est impossible de concevoir qu'une observation aussi sereine puisse se réaliser.

Krishnamurti comparait l'activité mentale de l'homme ordinaire à une machine formée de rouages complexes tournant avec une grande rapidité.

Si nous voulons étudier le fonctionnement d'une machine formée de rouages compliqués tournant à vive allure, il est nécessaire d'en ralentir le mouvement. Nous pourrons voir alors comment les rouages agissent entre eux.

[... de même dit K, conférence d'Ojai 1944, p.28 :] "Si vous arrêtez la machine, vous ne pouvez la comprendre. Elle n'est plus qu'une chose morte." [...]

K. nous enseigne qu'en la plupart d'entre nous la machine mentale fonctionne mal. Elle est branchée sur un mauvais courant. Il faut la déconnecter et la brancher sur une source d'énergie plus saine, plus adéquate à l'ordre naturel des choses.


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Rien n'est à la fois plus simple et plus ardu. Simple en soi, oui. Mais ardu pour nous, parce que nous sommes pervertis, compliqués par une foule de valeurs fausses et de conditionnements.

De nombreux auteurs s'accordent à reconnaître l'importance d'une pacification de la pensée, mais les méthodes qu'ils nous proposent sont non seulement divergentes mais absolument contradictoires. Ensuite, le but que l'on se propose d'atteindre par cette pacification mentale conditionne le résultat obtenu.

K. envisage le problème de la pacification du mental d'une façon assez différente des écoles de concentration mentale basée sur la volonté et la discipline personnelle. Il considère que le développement intensif de la volonté durcit notre "musculature mentale". Ce durcissement nous empêche d'être receptifs aux contenus des zones profondes de la conscience.

L'inconnu dont parle K. réside au-delà l'activité mentale. Il est d'une délicatesse, d'une finesse et d'une subtilité telles que nous devons nous affranchir de toutes nos tensions psychiques pour lui permettre de se manifester en nous.

En plus de ce qui précède, K. nous rappelle que dans tout acte de volonté, de discipline, le "moi" se scinde en deux fragments distincts. Le premier, se prenant pour l'entité, le "sujet" tente d'opérer sur un autre fragment, ses pensées, les "objets" dont il imagine à tort qu'ils sont distincts de lui. Cette division entraîne une foule de conflits, de confusions, de tensions inutiles entraînant une perte considérable d'énergie.


Les conditions d'une parfaite disponibilité intérieure peuvent être résumées comme suit : absence de toute fragmentation du "moi" en parties distinctes tentant d'opérer les unes sur les autres, absence de tensions, attention parfaite non-mentale, souplesse et agilité extrême de l'esprit, forme supérieure de sensibilité, transparence naturelle et détendue de la pensée. Lorsque de telles conditions se réalisent nous accédons instantanément à la plénitude de l'Amour.


Le silence véritable de la pensée, résulte non de la discipline du "moi" mais de la compréhension des énergies qui ont intérêt à entretenir les agitations du "moi". Cette distinction est très importante et mérite d'être longuement méditée.


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Ainsi que l'exprime K., le "moi"qui est un "paquet de mémoires", un résidu d'actes incomplet, ne peut dissoudre valablement le "moi".

Mais au coeur de ce "moi" peut s'installer une compréhension émanant d'un niveau plus profond que K. désigne parfois par l'Inconnu.

Autrement dit, au lieu de nous évertuer à discipliner notre pensée par un effort émanant du champ habituel de la pensée elle-même, il est beaucoup plus important de découvrir le fonctionnement et la signification de l'activité mentale.

L'intelligence permettant la réalisation de cette découverte n'est évidemment pas celle de notre pensée ordinaire entièrement conditionnée par des valeurs fausses de temps, de durée, de peurs conscientes et inconscientes.

L'attention parfaite dont K. nous suggère la réalisation continuelle implique une cessation des automatismes mémoriels, un affranchissement de tout jugement de valeur, de toute préférence, de toute répulsion, de toute approbation, de tout rejet, de tout choix.

Il est clair que dans une telle attention la totalité des éléments constitutifs du "moi" sur le plan psychologique est exclue. Il ne reste donc plus qu'un état d'attention pure. Attention de "quoi" ?. Certes, plus celle de l'entité égoïste puisque tous les éléments qui la formaient sont volatilisés.

Ceci nous force à revenir une fois de plus à l'examen des quatre questions fondamentales que nous répétons à dessein : Que pensons-nous ? Comment pensons-nous ? Pourquoi pensons-nous ? Et surtout "qui" pense ?

[...] Nous savons que le contenu exact de l'activité mentale est infiniment plus vaste que la partie apparaissant clairement dans le champ de la conscience. Au-delà du conscient superficiel habitué à traiter les problèmes concrets de l'existence quotidienne existe un vaste inconscient.


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Dans ses Causeries d'Ojai, 1944, K. compare l'importance respective du conscient et de l'inconscient aux deux parties d'un iceberg :

"Notre conscience est semblable à un iceberg dont la plus grande partie est immergée en profondeur et dont une seule fraction se montre au dehors. Nous avons connaissance de cette couche superficielle, mais c'est une connaissance confuse, tandis que la partie intérieure, la plus grande, le profond inconscient, nous est à peine perceptible, ou si elle le devient, nous en prenons conscience à travers des rêves, à travers des avertissements occasionnels, mais ces rêves et suggestions, nous les interprétons suivant nos préjugés et nos capacités intellectuelles toujours limitées. Ainsi, ces avertissements perdent leur signification pure et profonde."

Il est très important d'explorer et de mettre à nu, les contenus de l'inconscient.


[...]

Pour K., le vaste inconscient est formé par l'ensemble des actes incomplets, des énergies résiduelles de pensées non achevées, d'actes manqués, de désirs inassouvis, de mémoires obscures remontant jusqu'aux plus lointaines origines d'un univers.

[...]


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[...]

Une question plus importante est celle du "pourquoi" de la pensée.

Elle est liée à celle de la réalité ou de la non-réalité du "moi", c'est-à-dire à la question "Qui pense ?"

K. nous enseigne que tout est changement, rien n'est stable. Il n'y a pas d'entité statique telle que nous l'imaginons. Seule existe une succession rapide de pensées donnant à la conscience une impression illusoire de continuité.

Dans ses causeries vers 1947 et 1948, en Inde, K. évoquait l'existence entre les pensées, de vides interstitiels, de moments de silence "there is a gap between two thoughts".


[voici ce qu'il nous en dit] le 29/04/1948 [lors] de conférences données à Madras.

"Aucune réponse de la mémoire ne peut produire la régénération.


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Lorsque je la vois, la réponse de la mémoire tombe. Elle peut se représenter mais si je la vois à nouveau, elle tombera encore [...]

Lorsque l'action de la mémoire est suspendue, l'esprit est très serein. Par une vigilance constante, un intervalle se produit lorsque la pensée n'intervient plus. Que se produit-il dans cet intervalle ?

Lorsque l'esprit est dans un tel état, il se produit une lucidité naturelle qui s'étend et ne procède à aucune exclusion. Un état de concentration existe sans la présence d'un sujet qui se concentre.

L'esprit compréhensif se libère de toutes les pensées et il se produit également une augmentation de l'intervalle entre chaque pensée.

Qu'arrive t-il dans cet intervalle ? Losque la pensée se présente au cours de cet intervalle elle est examinée avec plus de rapidité, à neuf.

L'élargissement de l'intervalle entre deux pensées donne une plus grande capacité d'aborder n'importe quelle pensée pouvant apparaître dans cet intervalle.

Nous allons examiner maintenant l'expérience de cet intervalle. Une vitalité existe en lui.

Dans cet intervalle tout effort a cessé ; il n'y a plus de choix, pas de condamnation, pas de justification et pas d'identification ; il n'y a aucune interprétation d'aucune sorte.

L'intervalle qui est un état d'être nouveau, rencontre-t-il l'ancien qui se présente sous la forme de la pensée naissante ?

Cela signifie que le "neuf" rencontre l' "ancien" ; mais le "neuf" ne peut absorber l'ancien. L'ancien peut absorber le neuf et le modifier. Mais le "neuf" ne peut absorber "l'ancien". Par conséquent, le neuf s'étend et "l'ancien" disparaît de lui-même. Il n'y a pas de suppression, ni d'exclusion, ni de condamnation, ni d'esquive réalisés de propos délibéré par le "moi". C'est de cette façon que la pensée surgissant dans l'intervalle disparaît.


Dans cet intervalle se réalise la cessation complète des désirs.

Il est alerte, passif, sans choix, lucide. Il n'y a pas de sensation. Si vous et moi expérimentons le même état, parce qu'il n'est pas sensoriel, nous pouvons nous comprendre mutuellement.


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Cet intervalle vit par lui-même. Il agit. Je n'ai pas à m'y maintenir ni dire "je dois vivre"... Sans cause (provenant de la mémoire) cet intervalle vit par lui-même et s'allonge. C'est un état d'être sans causalité, ne comportant aucun temps, un état vivant intensément. Il existe un renouvellement qui n'est pas répétitif. Cet état est création. Cet état n'est pas le résultat de la volonté ni du passé. Il n'est pa sla réalisation d'un désir mais un état d'action réelle, sans cause, intemporel, vivant et se transformant de lui-même.

Il ne s'agit pas d'une expérience isolée mais d'un état d'expérimentation constante. La régénération est par conséquent une révolution constante au dedans de nous. Si cela se produit, le "neuf" rencontre "l'ancien" sans être contaminé par lui. Par conséquent, un tel homme peut vivre dans un monde d'avidité sans être affecté par cette avidité mais lui-même transformera l'avidité dans le monde.

Vous n'avez pas à lutter pour être bon, non-violent, etc. Ce qui vous concerne est la réalisation de cet intervalle dans lequel vous pouvez vivre d'instant en instant. Vous n'avez aucun problème ni rien à maintenir parce que dès l'instant où cet intervalle se produit les problèmes sont traités : le "neuf" rencontre l' "ancien" sans être en aucune façon  contaminé par lui."


La notion d'intervalle entre les pensées existait déjà dans l'Inde antique. Ces moments de silence étaient désignés par l'expression "Turya" ou "vide".

La question que nous devons nous poser est la suivante : si de tels vides existent entre les pensées, si la conscience que nous croyons continue est en réalité discontinue, comment se fait-il que seule une infime minorité le sache ?

Comment se fait-il que [...] seuls quelques privilégiés parviennent à démasquer la comédie que le "moi" se joue à lui-même et lui donne l'impression d'être une entité continue ? Y aurait-il donc, agissant dans la totalité du genre humain, une même force maquant irrésistiblement à nos yeux la discontinuité de la conscience ?


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Y aurait-il une force mystérieuse capable de nous cacher sytématiquement les moments de silence entre les pensées et le caractère illusoire et destructeur de notre pseudo identité ?

L'enseignement de K. répond indirectement par l'afirmative.


La plupart de nos pensées résultent d'un réflexe d'autodéfense et d'une peur fondamentale dont les origines sont très lointaines. Une partie de nous-même, située dans les zones profondes de l'inconscient, sait très bien que si nous étions directement confrontés en un seul instant avec l'un de ces vides intersticiels, existant entre deux pensées, le caractère illusoire de notre entité se révélerait avec une évidence telle que son règne prendrait fin.


Or cette partie profonde de nous-même ne veut en aucun cas prendre fin. Au contraire. Elle s'accroche désespérément à sa continuité.

Les anciens philosophes de l'Inde, les maîtres de l'Advaïta vedanta et les bouddhistes désignent cette force par le terme sanscrit "Tanha". Ce mot exprime l'avidité du "moi", sa soif de durée, son désir d'exister, de dominer, de posséder.


L'agitation mentale résulte en grande partie d'un réflexe d'auto-défense garantissant la continuité apparente du "moi". tel est le symbole du "vieil homme" dont les textes des Ecritures nous suggèrent le dépassement.

Telle serait aussi la signification profonde qu'il faut donner au mot "Satan" qui ne symbolise pas une personne mais l'ensemble des forces d'inertie réistant aux mouvements de la vie. Le terme "Satan" proviendrait de "Sheitan" (du vieil arabe) et signifierait "je résiste". Il évoquerait la fixation du "moi" aux niveaux acquis par la conscience personnelle au cours de l'évolution et le refus de l'éveil intérieur.

Chacun peut comprendre et sentir que l'agitation mentale n'est que le réflexe d'autodéfense d'un instinct de conservation situé dans les zones les plus profondes de l'inconscient. Peu importe à ce "surmoi profond" que le moi de surface souffre, se torture ou se perde dans les jouissances de mille plaisirs.

L'essentiel pour ce "surmoi" est de durer.

Nous portons en nous les mémoires obscures de tout le passé. Tant d'efforts ont été nécessaires avant d'aboutir à l'édification de l'être humain !


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[...]

L'ensemble des mémoires obscures de cet insondable passé engendre une force d'inertie tendant à nous faire stagner aux niveaux acquis. En langage clair et brutal, cette force tendrait à dire "J'y suis enfin donc j'y reste."

Cette force est beaucoup plus puissante que nous le supposons. Elle s'oppose à l'une des lois de la nature qui se traduit par un devenir continuel et un dépassement des niveaux acquis. Telle est la raison pour laquelle Krishnamurti nous usggère de mourir à nous-même, à nos attachements, à nos habitudes mentales, à nos préoccupations égoïstes et mesquines, et ce, non par capitulation ou fuite aveugle, mais par affrontement lucide.


Pour K., la pensée de l'homme ordinaire est l'état de continuité, et dans l'état de continuité on ne peut connaître le suprême qui est l'Inconnu.

[voici ce qu'il dit dans] "De la connaissance de soi - pages 181, 182, 183" :

"La mort est l'état de non continuité qui est l'état de re-naissance. La mort est l'Inconnu parce que c'est une fin dans laquelle est un renouveau. Un esprit qui est continu ne peut pas connaître l'Inconnu : il ne peut connaître que le connu parce qu'il ne peut agir et se mouvoir que dans le connu, qui est le continu. par conséquent le connu, le continu est toujours dans la peur de l'inconnu, de la mort en laquelle seule est le renouvellement.


La mort est un mystère parce que nous l'abordons toujours à travers le connu, à travers le continu. La mort n'est pas une chose à craindre, car en finissant il y a renaissance, et en continuant il y a décomposition, désintégration."


Nous avons définis précédemment le "pourquoi" de la pensée comme un réflexe d'auto-défense d'une peur fondamentale éprouvée par la somme des mémoires du "moi" qui se sentent menacés dans leur existence. Ces contenus obscurs de l'inconscient profond luttent désespérément pour sauvegarder leur continuité. Ce sont là du point de vue intérieur et spirituel, les cause profondes de l'activité et de l'agitation mentale.


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D'autres causes existent évidemment. Parmi elles, citons la nécessité d'être en état de répondre adéquatement aux sollicitations du milieu, de se déplacer, de se nourrir, de travailler, de créer, de se constituer un minimum indispensable de  maturité intellectuelle, de communiquer avec autrui, d'établir des relations verbales, de sprotéger physiquement, biologiquement, psychologiquement, de satisfaire une curiosité naturelle fondamentale, de chercher à comprendre, etc.


Afin d'éviter tout malentendu, il est bon de préciser que :


1° Krishnamurti ne jette pas un discrédit systématique sur la fonction mentale, sur l'activité des pensées


2° Il dénonce le rôle destructeur de la pensée dans son fonctionnement actuel dans la presque totalité du genre humain


3°Lorsque l'homme parvient à se libérer de l'emprise des conditionnements habituels de la pensée, il réalise une sorte de mutation psychologique qui lui permet enfin d'utiliser la pensée sans être victime des conditionnements qu'elle tendait à lui suggérer avant cette mutation. Un homme "éveillé" ou "libéré" peut penser mais la pensée n'est plus pour lui "complice" d'une durée quelconque de son "moi".


4° La pensée est une fonction naturelle. C'est l'abus et l'utilisation inadéquate de cette fonction qui crée des problèmes et non la fonction mentale elle-même. La pensée n'est qu'une simple fonction parmi un ensemble de fonctions beaucoup plus vaste. Le drame pour l'homme n'ayant pas réalisé la connaissance de soi, c'est que la pensée, qui n'est qu'une fonction, s'est prise pour une "entité".


5°La pensée pour l'être libéré, n'est qu'un instrument de communication.

Elle est l'outil de travail idéal pour les travaux techniques, pour les opérations mécaniques. Elle est inadéquate aux niveaux de conscience supérieurs.

La délimitation du fonctionnement "perverti" de la pensée cherchant l'affirmation de la continuité du "moi" et dufonctionnement harmonieux, souple, vigilant, de la pensée délivrée de toute continuité du "moi" peut être éclaircie par l'étude de la mémoire.


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Krishnamurti envisage l'existence de deux espèces de mémoires.

Premièrement une mémoire naturelle, normale, inévitable et nécessaire.

Tout ce que nous voyons, entendons, sentons, touchons est enregistré par les neurones cérébraux et constitue les "engrammes cérébraux" ou enregistrements mémoriels. La mémoire naturelle est indispensable, nous dit Krishnamurti.

Il est évident que si nous étions privés de cette mémoire naturelle, la vie deviendrait impossible, nous ne pourrions plus retrouver le chemin de notre maison, ni la route ou le train à prendre, ni reconnaître notre famille, ni nos amis, ni nos fournisseurs, ni l'alimentation qui nous est nécessaire. Il n'est pas question de nier l'évidence d'une telle nécessité.

Mais à l'ensemble extraordinairement complexe des accumulations de mémoires naturelles se superposent d'autres mémoires. Ce sont les mémoires psychologiques.

Les mémoires psychologiques proviennent d'une identification du "moi" avec les mémoires naturelles. Il s'agit d'une sorte de courant secondaire, parasite naissant vraisemblablement d'une loi de masse en raison de la somme énorme englobant des milliards de mémoires naturelles augmentant seconde après seconde

K. déclare à ce propos (dans Krishnamurti parle, page 131):

"Ne devons nous pas être conscient de deux formes de mémoires : l'indispensable qui se rapporte aux faits, aux chiffres, et la mémoire psychologique.

Sans cette mémoire indispensable, nous ne pourrions pas communiquer avec les autres.

Mais nous accumulons des mémoires psychologiques et nous nous y accrochons afin de donner une continuité au moi ; ainsi le moi ne cesse de croître. [...]

Cette mémoire qui procède par accumulation, ce "moi", c'est cela qui doit parvenir à une fin. Tant que le "penser-sentir" s'identifie avec ses mémoires d'hier, il est dans un état de douleur, tant que le "penser-sentir" sera dans le devenir, il ne pourra éprouver la félicité du Réel.

Ce qui est Réel, n'est pas une perpétuation de la mémoire identificatrice (psychologique)."


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Un exemple peut illustrer la différence entre mémoires naturelles et mémoires psychologiques. Supposons un instant qu'un voisin ait eu à notre égard un comportement grossier ou malhonnête. Cette circonstance sera enregistrée normalement par notre mémoire naturelle. Mais, consciemment ou inconsciemment, nous aurons réagi à ce fait, nous nous serons identifiés à lui en l'entourant de tout un réseau de récriminations, d'amertumes, d'agressivité, de mépris, de colères.


Si nous rencontrons ce voisin chaque matin en nous rendant au travail nous aurons en nous, presque simultanément, l'intervention de deux mémoires.

D'abord la mémoire naturelle du fait.

Ensuite, et surtout, notre identification réactionnelle à ce fait : nos griefs, notre mépris, etc. Ce sont là, les éléments de base de la mémoire psychologique.

Supposons un seul instant que, par bonheur, nous ayons réalisé la prise de conscience que nous suggère Krishnamurti. Dès cet instant, nous sommes psychologiquement "morts" à nous-même, à notre continuité, à nos revendications.

Etant "neufs dans l'instant neuf", lorsque nous rencontrons à nouveau notre voisin notre réaction intérieure sera différente. Peut-être n'aurons-nous simplement que la mémoire naturelle, "froide" du fait. Mais psychologiquement nous serons délivrés des tourbillons émotionnels et mentaux de revendication, de vengeance, de mépris. Nous serons libres de la mémoire psychologique. Nous étant renouvellés nous-mêmes, nous serions tentés d'admettre la possibilité que celui que nous considérions comme notre ennemi se soit peut-être lui aussi renouvellé.

En un mot la mémoire psychologique résulte de l'importance que veut s'accorder le "moi" en s'identifiant aux mémoires naturelle des faits.

Nous y trouvons toujours, en dernière analyse un désir de continuité du "moi" qui cherche à s'éprouver, à s'affirmer pour s'éprouver à la façon d'une entité douée de solidité psychologique.


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La question logique que le lecteur se posera une fois de plus est la suivante :

Comment se libérer des mémoires psychologiques, comment se libérer du "moi", de la pensée, de l'agitation mentale.

Nous avons dit que la solution ne se trouvait pas dans l'évasion, ni dans les actes de discipline volontaire. La solution réside dans une observation dont nous allons tenter de donner le climat.

"Pour aller plus loin, nous dit Krishnamurti, il faut commencer "par ce qui est près." Et en un certain sens quoique tout soit là, nous sommes à tel point compliqués et conditionnés que la réalisation de notre éveil intérieur nous semble ardue et lointaine.

Quoique l'éveil spirituel authentique se réalise simultanément lors de toute approche adéquate d'une circonstance, nous pourrions, pour les commodités du langage, diviser le processus en deux étapes.

D'abord, dans le tout début, une étape de dégrossissement, de déblayage préparatoire et progressif : la prise de conscience profonde du fait que nous sommes conditionnés, emprisonnés dans notre égoïsme. Il nous faut découvrir l'impasse dans laquelle nous nous sommes engagés. Il nous faut à la fois comprendre et sentir profondément que nos pensées, nos émotions, nos sensations, nos actes sont l'expression d'un désir de continuité, d'affirmation et d'expansion.

Un tel processus de vie est sans issue valable. Il nous conduit à travers un cortège de plaisirs et de souffrances qui se révèlent comme autant de servitudes nous voilant la signification véritable de l'existence.

Ensuite, nous sommes en état d'aborder une étape dénuée de toute progression (commentaire personnel de l'auteur n'engageant pas la pensée de Krishnamurti). Il nous faut surprendre sur le vif, au moment même où il est à l'oeuvre dans les zones profondes de la conscience, le processus opérationnel de la pensée et sa complicité dans la comédie de l'apparente continuité du "moi".


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Il s'agit là, d'une tâche à la fois simple et ardue. Il ne suffit pas de comprendre ce qui précède intellectuellement. Il faut le sentir, en vertu d'une perception globale. Le caractère de cette perception globale est parmi les éléments spécifiques de la pensée de Krishnamurti. Il ne sépare jamais le coeur et l'esprit, l'émotion et la pensée. Pour cette raison, il employait intentionnellement l'expression "esprit-coeur", ou "pensée-sentiment".

[en cours de saisie... - 2 juin 2009]


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