Arnaud Desjardins : Approches de la méditation
(Editions de La Table Ronde - Paris, 1989)
Extraits et résumés
TROISIEME PARTIE : LA PRATIQUE
Chapitre 6 : Litanies pour un retour à soi-même
[6.2 : pages 179 à 184]
Le sentiment avec lequel vous abordez une forme ou une autre de méditation est décisif.
[...] Ne ramenez pas la méditation à des techniques pour se calmer ou même se réunifier, alors qu’elle est bien plus que cela, infiniment plus. Ne commencez jamais une méditation, quels qu’en soient les points d’appui physiques, sans le sens très vif du sacré. Soyez très conscient de l’immensité de l’enjeu, un pas de plus fait vers la découverte de la part éternelle de nous-mêmes. Cette réalité est déjà notre essence mais nous nous en sommes exilés et, par le recueillement, nous revenons à cette source éternelle en nous.
Prenez bien conscience de vous ici et maintenant, mais en essayant de ressentir ce sens du sacré.
Vous êtes tous, toutes, tellement plus que vous ne l’avez découvert jusqu’à présent, quels que soient vos médiocrités, vos jugements sur vous-mêmes, vos contradictions. Le grand enseignement du védanta, c’est cette perfection intrinsèque de tout être humain, dont nous avons perdu la conscience. La méditation est un retour à l’origine.
Les énergies qui se dispersent dans les formes multiples extérieures à nous ou intérieures, pensées, émotions, reviennent à la source [...] Le Soi, c’est nous, débarrassés de toutes les limitations, la seule perfection possible puisque, dès qu’il y a « forme », il y a toujours limitation et imperfection.
Essayez de prendre conscience de vous avec ce sentiment nouveau, c’est fondamental. Prenez au sérieux les paroles telles que : « le corps de l’homme est le temple de Dieu », ou « le Royaume des Cieux est au-dedans de vous ». Il n’y a de méditation que si cette promesse vibre quelque part en vous, même si vous vous croyez bien éloigné de son accomplissement. Vous découvrirez un nouveau sentiment par rapport à vous-même, un sentiment religieux, indépendant de vos imperfections, au-delà de vos mesquineries.
Les Upanishads disent que l’atman se révèle. Vous ne pouvez pas le contraindre, mais vous pouvez remettre de l’ordre en vous-même, pour que cette révélation devienne possible, que ce ne soit plus vous qui l’empêchiez.
Ressentez le point capital : plus de pensées. Toute pensée crée un éloignement.
Je pense à ce dont je suis éloigné ou séparé soit dans l’espace, soit dans le temps. Si j’ai une rose sous les yeux, pourquoi penser à une rose, ne pas simplement entrer en communion avec la rose? Si je pense à l’atman, si je pense au Royaume des Cieux, si je pense quoi que ce soit, je m’en éloigne.
Surtout ne pas penser : être, seulement être – et ressentir. Comment puis-je être conscient sans penser? Sans me penser moi-même, sans penser à mon sujet, seulement être.
Si vous pensez « j’inspire » quand l’inspiration s’accomplit, si vous pensez « j’expire » quand l’expiration s’accomplit, vous n’êtes plus dans la pureté de la vérité.
Retournez à l’extrême simplicité, redevenez pareil à un petit enfant. Retrouvez la respiration du petit enfant, la respiration d’avant les traumatismes, d’avant les injonctions de l’éducation, d’avant la constitution du mental et de l’ego. Essayez d’entendre pour la première fois cette parole : si le sage n’est plus du tout infantile, il est redevenu pareil à un petit enfant, parfaitement simple, fondamentalement simple, détendu, abandonné comme un tout petit dormant la tête sur l’épaule de la maman qui le porte dans ses bras. Et pourtant votre savoir, toute votre expérience resteront là à votre disposition. Lâchez votre âge, lâchez votre prétendue maturité, lâchez le poids de l’expérience. Déposez tous vos fardeaux d’adulte, tout votre passé d’adulte, lâchez. Retrouvez un coeur de petit enfant en retrouvant une respiration de petit enfant. Et ne pensez surtout pas à la respiration, vivez-la. Laissez-la vous animer, vous bercer. Lâchez le ventre, laissez la respiration descendre dans le ventre.
La pureté et la simplicité du petit enfant demeurent encore au fond de vous-même, non touchées par votre propre histoire, non touchées par vos traumatismes, et vous les retrouverez d’abord par la pureté et la simplicité de la respiration. Mais cette respiration devient consciente. Certes, par la force d’inertie de l’habitude, votre énergie retourne dans les pensées et vous ramène à la surface de vous-même, mais vous vous détournez de ces pensées et vous cherchez plus profondément en vous-même.
La respiration n’a pas de passé. Le passé est gravé dans votre cage thoracique pour vous empêcher de respirer librement, mais la respiration elle-même n’a pas de passé. Chaque inspiration est ouverte sur l’éternel présent, chaque expiration est nouvelle.
Sentez directement la Vie, pas votre vie, la Vie, avec ce sentiment que vous allez vers ce qu’il y a de plus sacré, de plus divin. Il est encore plus extraordinaire de rentrer en soi-même que de se trouver face à face avec le plus grand des sages.
Vous ne pouvez pas méditer si vous n’abandonnez pas l’idée ou l’image plus ou moins conflictuelle que vous avez de vous-même, qui vous interdit de vous accepter complètement. Vous n’êtes ni médiocre ni coupable. Cette pauvreté n’est que la surface de votre être. Je vous conjure d’entendre l’enseignement du vedanta ou du bouddhisme sur la perfection de votre vraie nature. Il n’y a pas de méditation juste sans ce renoncement à la mauvaise opinion que vous avez de vous-même.
Simplement, cherchez plus profondément au-dedans de votre propre coeur, en ayant confiance dans la promesse de tous les sages : vous êtes la paix, vous êtes la béatitude, vous êtes la réalité indestructible. Si vous entendez ces mots avec la tête, vous les pensez et vous ne ressentez rien. Si c’est votre coeur qui les entend, vous êtes touché, éveillé, et sur le chemin de la vérité.
Détendez votre visage. Sous le visage tendu, sous les rides, sous les sourcils froncés, le visage pur et simple est encore là. Lâchez les épaules, lâchez les bras, lâchez le ventre, laissez-le respirer. Et ne cherchez jamais ce qui n’est pas là. Cherchez seulement à mieux ressentir ce qui est là, dans la détente.
Vous êtes distrait? Revenez à ce sentiment de la gravité, de l’importance de cette recherche. Plus tard vous lâcherez même le point d’appui de la respiration. Mais d’abord prenez appui sur la respiration, la fonction naturelle qui nous est la première accessible.
Et respirez avec le ventre comme un bébé dans son berceau. Si vous pouvez sentir la vie en vous, juste ici, juste maintenant, vous pressentez ce qui est éternel. La même vie anime le bébé et le vieillard. La vie est un jeu de morts et de naissances mais la Vie elle-même ne meurt pas.
Comment pouvez-vous retourner à des pensées limitées, des petites préoccupations actuelles, des craintes ou des excitations, alors que le plus précieux vous attend depuis toujours au coeur de vous-même, la découverte de la Vie qui vous libère définitivement de toute peur? Essayez de ne pas perdre ce sentiment de votre valeur divine, parce que c’est la vérité.
Et maintenant comprenez encore ceci, selon l’image célèbre : aucune vague en tant que vague ne petit devenir l’océan. Je peux seulement réaliser, découvrir cet océan, cet esprit immense, vaste, infini, en lequel j’ai l’être.
Essayez de vous laisser couler, de vous laisser sombrer en vous-même. Perdez vos points d’appui de vague et vous découvrez l’infini. Ne vous accrochez plus à ce que vous connaissez. Vos informations sont des limitations. Lâchez prise, laissez-vous tomber dans le vide en vous-même, et la vague ne peut tomber que dans l’océan.
[...]
Si vous voulez que la vie infinie se révèle en vous, quittez vos limitations : seulement ressentir, sans impatience. L’espérance, la foi, la confiance ne sont pas l’impatience. Moins vous êtes tendu vers la réussite, plus la réalité se révèle. Je lâche, je me lâche, tout en demeurant vigilant. Et un jour, vous retrouverez en vous cette pureté, cette spontanéité du petit enfant, car elle est là, intacte, éternellement intacte, éternellement renouvelée à chaque respiration, et au-delà même de la respiration.
Résumé et extraits d'Approches de la méditation d' Arnaud Desjardins .- Editions de La Table Ronde, Paris, 1989.
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