Arnaud Desjardins : Approches de la méditation
(Editions de La Table Ronde - Paris, 1989)
Extraits et résumés
TROISIEME PARTIE : LA PRATIQUE
Chapitre 6 : Litanies pour un retour à soi-même
[6.1 : pages 171 à 179]
[...] [Quelle posture pour la méditation : ]
" L’important, c’est de pouvoir demeurer complètement immobile.
L’immobilité et le silence s’établissent à tous les niveaux : physique, physiologique, psychologique, mais ils sont perturbés chaque fois que nous bougeons.
Nous voulons qu’une eau qui a été agitée redevienne calme : chaque fois que nous relançons un caillou dans l’eau, voilà de nouveau une série d’ondes qui vont mettre un moment à se dissiper avant que l’eau redevienne plane comme un miroir. [...]
Quand vous essayez de méditer, ce ne sont pas les distractions extérieures qui viennent vous troubler mais toutes les agitations intérieures, ce qu’on appelle techniquement dans le yoga vrittis, qui montent de la profondeur. Elles émanent de chitta, le subconscient, d’où l’appellation chitta vritti.
Le premier but, c’est d’établir cette immobilité et ce silence.
Et d’abord, au niveau du corps physique. Ressentez-vous assis, bien assis. Par la conscience de votre posture, ressentez votre structure, votre architecture. Ressentez si cette posture vous paraît ou non « stable et agréable ». [...]
Pour beaucoup de débutants la posture n’a rien d’agréable : mal aux jambes, mal au dos, des tensions partout. Nous sommes tous passés par là. Essayez de percevoir ce qu’il y a de non satisfaisant ou de satisfaisant, ici et maintenant, dans votre posture à vous. Notamment, est-ce que cette posture vous permet de relâcher les tensions musculaires dans la zone lombaire sans vous affaisser pour autant, sans que peu à peu le dos devienne de plus en plus rond.
[...]
Soyez d’abord convaincus de l’importance de l’attitude physique, notamment dans la méditation immobile, d’une posture que vous puissiez conserver un certain temps, sinon trois heures comme certains moines ou yogis, au moins une demi-heure.
Vous pouvez méditer assis sur un siège si celui-ci est assez haut. Les fauteuils et les divans modernes sont à proscrire. Sur les quelques sièges médiévaux authentiques qui subsistent encore, on peut vérifier combien le siège qui nous paraît inconfortable, à nous hommes modernes, peut être favorable à l’intériorisation et à la présence à soi-même.
Vous pouvez méditer à genoux, éventuellement avec un petit tabouret entre la partie des jambes qui appuie sur le sol et les fesses.
Vous pouvez méditer assis sur le sol avec ou sans coussin. Les hindous n’utilisent aucun coussin. Les moines zen utilisent un « zafu » important, mais la morphologie des Japonais est différente de celle des hindous.
L’important, c’est de bien sentir la solidité à la base et la flexibilité à partir du niveau de la ceinture. Vous aurez à expérimenter, à choisir la forme et la hauteur du coussin qui vous convient pour que, si possible, vos genoux touchent le sol. Les yogis entraînés, dont les jambes sont très souples, ont les genoux qui reposent sur le sol, même sans coussin. Si vos genoux ne peuvent pas toucher le sol, parce que vous n’êtes pas encore assez exercés, assez assouplis, n’hésitez pas à utiliser des appuis que vous placerez sous ces genoux. Tenez compte, chacun, de vos possibilités actuelles.
La base de toute posture, qu’elle soit yogique, hindoue, tibétaine, zen, est une certaine bascule du bassin qui dégage l’anus.
Vous vous asseyez vers l’avant, vers les organes génitaux, et vous libérez l’anus, ce qui détermine une certaine cambrure. Les Japonais s’expriment poétiquement : « l’anus contemple le soleil » et Sensei Deshimaru disait crûment: « péter vers le ciel ». Il est souhaitable que cette cambrure s’effectue le plus bas possible.
Essayez de sentir : suis-je assis sur l’anus, ce qui va m’amener à avoir le dos rond ou assis en dégageant l’anus, ce qui, ensuite, me permet, en me redressant, d’avoir le dos droit?
L’important est de ressentir une impression de fermeté, de stabilité à la base, comme un socle, un réel appui sur le sol ou sur les coussins, et non d’être perché comme un oiseau sur la branche, ni assis sur le bout des fesses comme les timides qui n’osent pas s’installer confortablement dans un fauteuil.
[...] Cette fondation, vous la retrouvez debout dans la manière dont vos pieds s’implantent sur le sol.
Soyez conscients : est-ce que je sens vraiment le bassin, l’os iliaque, le sacrum bien plantés et droits? Est-ce que mes fesses sont à l’aise sur le coussin? Est-ce que mes jambes croisées me donnent aussi un point d’appui ferme, comme un triangle, comme la base d’une pyramide?
A partir de cette base, cherchez une flexibilité qui vous permet de vous pencher en avant, en arrière, à droite, à gauche, très consciemment, en sentant le mouvement partir du bas du dos, ce qui vous aidera à trouver votre verticale.
Le pranam (prosternation) accompli dans la posture est une salutation, un engagement, une consécration avant d’entrer dans le temple intérieur. Relevez-vous consciemment; quand vous sentez que vous avez atteint la verticale, vous vous immobilisez et vous relâchez toutes les premières tensions, celles qui peuvent céder immédiatement.
J’ai su ce que c’est, croyez-moi, que les douleurs dans les jambes, les jambes engourdies, l’impression qu’on ne pourra pas se relever. Cela fait partie de notre pratique, de l’adhésion à ce qui est. Si nous ne pouvons pas accepter ce désagrément physique, que sera-ce si un jour nous devons traverser les épreuves de la maladie ou de l’accident? En fin de méditation, le retour de l’immobilité au mouvement doit se faire aussi attentivement et consciemment, en acceptant cet engourdissement s’il se présente, en en restant intérieurement le maître.
[...] Prenez bien conscience d’une première vérité. L’axe vertical qui pointe vers le ciel, la colonne vertébrale, se situe à l’arrière de nous-mêmes et tout le reste de notre organisme est devant. C’est une réalité du corps physique. La sensation du dos est importante, non seulement en méditation, mais peu à peu, dans le courant de l’existence.
Ainsi, la posture [...] c’est aussi la conscience du dos, depuis la stabilité du sacrum et de l’os iliaque jusqu’au sommet de la tête, en passant par la nuque, aussi importante que la région lombaire.
Placez bien cette nuque. Rentrez un peu le menton, même si cela vous fait un double menton. Dans les débuts, forcez même peut-être ce redressement de la nuque. Essayez de sentir, compte tenu de l’ondulation naturelle de la colonne vertébrale et de vos déformations éventuelles, quel peut être en vous le fil à plomb, depuis le sommet du crâne jusqu’à la base.
On nous dit aussi : représentez-vous qu’un fil accroché au sommet du crâne vous tire vers le ciel. Dans le zen, le maître demande : « Poussez le sol avec les genoux, poussez le ciel avec la tête. » Sentez ce redressement, cette fermeté de la nuque en rentrant le menton – surtout pas la tête en avant, ni la tête levée vers le ciel – et, à partir de cette poussée vers le haut, vous laissez tomber les épaules et vous laissez descendre votre centre de gravité dans le bas-ventre. La difficulté est de concilier cet abaissement intérieur avec une rectitude qui correspond plus ou moins au terrible « tiens-toi droit » de notre enfance. Nous nous redressons, nous ne sommes plus ni physiquement, ni psychologiquement accablés, repliés sur nous-mêmes, c’est la première démarche. Nous retrouvons notre stature. Nous osons être, la poitrine ouverte, mais non les épaules tellement tirées en arrière que le dos soit bloqué. Et nous prenons bien conscience que cet axe se situe à l’arrière de nous-mêmes et que tout le reste est devant. Vous verrez, peu à peu, l’importance de cet axe à l’arrière. Si vous demeurez centré, axé dans votre colonne vertébrale et votre nuque, vous n’êtes plus projeté en avant, attiré hors de vous-même, happé par ce dont vous prenez conscience autour de vous, ni projeté en avant vers le futur, anticipant sur la minute suivante. Le célèbre « ici et maintenant » est associé à l’axe du dos à l’arrière de nous-mêmes. Vous aurez donc à chercher la correspondance qui existe entre la zone basse, au niveau des lombaires, et la nuque.
Au départ, dans les premières pratiques, vous aurez à faire un effort d’étirement de la nuque.
Maintenant, la position des mains. Il y a une position particulière aux Tibétains, poings fermés appuyant sur les cuisses et la célèbre position du zen, les paumes l’une sur l’autre et les pouces qui se touchent. La plupart des hindous méditent avec les mains à plat sur les genoux ou les doigts formant un mudra, un geste rituel. Les méditations que je vous propose ne sont pas le zazen strict et je ne me réclame pas essentiellement de la tradition japonaise, mais vous pouvez utiliser la position du zazen si elle vous convient. Vous pouvez aussi avoir les mains à plat sur les genoux comme un hindou mais toujours en contrôlant le port de la tête, la fermeté de la nuque, la direction du regard.
Certes, il est possible de méditer les yeux fermés, mais je vous suggère, autant que vous le pouvez, de méditer les yeux légèrement entrouverts pour ne pas être dans le noir complet. Très souvent, le noir complet est associé pour nous à une somnolence ou à un surcroît d’images intérieures et de rêveries. Et, d’autre part, la rupture est trop grande entre la méditation yeux fermés et l’existence quotidienne. Vous ne pouvez évidemment pas vivre les yeux fermés.
Les Tibétains méditent presque toujours les yeux fixés sur le vide, sur l’horizon infini. Éventuellement, au départ, fixez un point précis, juste pour donner une direction au regard les yeux grands ouverts et, au bout de quelques instants, vous ne voyez plus rien, ou à peine, tant l’attention est intériorisée, mais il n’y a pas de coupure entre les yeux ouverts dans la méditation et les yeux ouverts dans le courant de l’existence. La position paupières légèrement entrouvertes doit être reposante pour les yeux et permettre le relâchement du visage.
Maintenant, encore un point. Quand vous avez trouvé la posture qui n’est pas une torture pour vous, quand vous avez bien dégagé l’anus pour ne pas avoir le dos rond, quand vous avez accompli votre redressement intérieur (le contraire d’affaissé, affalé, découragé, déprimé), quand vous avez situé votre axe dans le dos, la posture va-t-elle vous permettre une réelle immobilité ou, au plus, d’imperceptibles mouvements qui amèneraient une toute petite rectification de cette posture si celle-ci était déformée en cours de pratique? [...] Est-ce que nous ne pouvons pas nous demander une demi-heure, fût-ce au prix d’un effort, pour notre propre transformation, notre propre éveil?
Peu à peu, par la pratique, la posture devient de plus en plus aisée. Et un jour, c’est avec bonheur que vous entrez dans la posture, que vous retrouvez cette posture pareille à elle-même, de jour en jour, de mois en mois, d’année en année.
Quand vous sentez que la structure ou l’architecture du corps est juste, l’important devient le relâchement, la détente musculaire profonde, le lâcher-prise dans les épaules, la descente du centre de gravité dans le bassin.
Et pour ceci, la verticalité de la posture est fondamentale sinon vous ne sentirez pas la fermeté, la solidité de votre assise : lourd en bas, léger en haut; un socle en bas, la flexibilité en haut; non seulement une flexibilité physique, mais une flexibilité mentale, une adaptabilité aux circonstances à partir de la solidité des racines. Surtout ne vous représentez pas cette posture, dans sa noblesse, dans sa dignité, comme une sculpture en pierre, sculpture de pharaon ou Boudd-ha. Ne vous ressentez pas dans cette stabilité comme un roc sur lequel les vagues de la vie vont se briser. Ressentez-vous comme vivant.
C’est la posture elle-même, stable, agréable comme dit Patanjali – même si ce mot nous paraît d’une cruelle ironie les premiers temps – qui va vous permet-tre de transcender la limitation, la séparation que représente le corps physique. Et une fois que la posture a été bien mise en place (nous ne prenons pas la posture, nous entrons dans la posture), ce qui nous importe, ce n’est plus la forme, la matérialité dite grossière, c’est la vie, le mouvement de la vie, la vie dans chaque cellule du corps, la vie dans les battements du coeur et la circulation du sang, et d’abord la vie dans le mouvement de la respiration. La posture est essentiellement vivante. Ressentez-vous donc comme vivant, comme un flux qui ne cesse pas de couler. L’homéostasie, l’intelligence profonde sur laquelle notre volonté n’a aucun pouvoir, l’intelligence de nos fonctions physiologiques, le métabolisme, sont tout le temps à l’oeuvre.
Presque toutes les pratiques de méditation, y compris celles du mont Athos dans le christianisme, prennent appui sur la respiration. Vous essayez de découvrir par votre propre expérience intérieure le lien entre une posture juste et la liberté de la respiration. Il y a une relation entre la courbure de la colonne vertébrale et le diaphragme. Il faut que, peu à peu, votre respiration devienne aisée, naturelle, ample par elle-même, que vous puissiez sentir respirer le ventre, que vous puissiez inspirer en abaissant le diaphragme donc en sortant un peu le ventre, et surtout que vous puissiez descendre dans le ventre à chaque expiration.
C’est par l’attention, la conscience, la sensation interne que, peu à peu, nous rectifions notre posture.
Commençons par en accepter les imperfections. Je ne peux pas me relâcher, je m’affaisse si je me relâche, je n’arrive pas à ressentir la poussée sur le bas-ventre à l’expiration. La poitrine ne s’ouvre pas naturellement à l’inspiration. Cette perception intérieure s’affine assez vite pourvu que nous nous demandions l’immobilité et la détente.
Et c’est dans les difficultés que nous rencontrons éventuellement à demeurer à la fois immobile, détendu et respirant librement, que nous prenons une conscience fine de l’imperfection de notre posture et de l’imperfection de notre attitude, car la posture n’est jamais seulement physique. Elle est toujours à la fois émotionnelle et mentale.
[...]
[Enseignements de notre posture en méditation pour notre(nos) postures au quotidien.]
Si vous acceptez les imperfections actuelles de votre posture (qui vont se corriger peu à peu), si vous voyez combien vite les reins s’affaissent ou les épaules se crispent ou le placement de la nuque se défait, vous prenez aussi conscience de certaines imperfections émotionnelles fondamentales de votre attitude générale dans l’existence : un manque de stabilité et de confiance en soi, une crispation dans le haut de la poitrine liée à la vanité et à la peur, le besoin de bouger, à la fois physique et mental, de celui dont on dit qu’il ne tient pas en place. Vous découvrez où sont vos affirmations prétentieuses inutiles, où sont, au contraire, vos manques d’affirmation, votre peur d’être, votre peur d’exister, de prendre la place que l’univers vous offre.
La beauté de la posture bien prise, l’assouplissement des jambes, la conscience du dos, une immobilité aisée ont leur valeur. Mais les imperfections de la posture ont aussi leur valeur pour vous permettre de mieux faire connaissance psychologiquement avec vous-même.
Et dans cette immobilité, vous pouvez faire des découvertes précieuses : voilà ma manière d’être fondamentale qui se révèle trop effacée, trop affirmée, trop avachie. La vie ne peut être uniquement ni relâchement allongé sur un lit, ni tension et tendance à bomber le torse. Et, plus subtilement encore, grandira une perception totale de vous-même avec cet axe du dos si important dans toutes les traditions ascétiques et mystiques; la libre communication entre le ventre, les organes génitaux et le coeur et, faisant le lien entre les deux niveaux, le diaphragme. Les imperfections inévitables de la posture, au moins pendant les premiers temps de la pratique, doivent être acceptées comme un enseignement concernant votre attitude fondamentale dans l’existence, acceptées avec un réel désir de vérité, de connaissance de soi, sans interprétation du mental, sans regret, dans le seul amour de la vérité.
Résumé et extraits d'Approches de la méditation d' Arnaud Desjardins .- Editions de La Table Ronde, Paris, 1989.
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